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A Paraître

Automne 2012

La Sœur de L’Ange N°12

Dossier : Á QUOI BON PARTAGER ?




Sommaire


OUVERTURE



Spéciale dédicace à Raoul Ruiz


De la lumière, plus de lumière, disait Goethe avant de mourir. Moins de lumière, moins de lumière, répétait Orson Welles sur un plateau de cinéma, la seule fois où je l'ai vu. Dans le cinéma actuel (et dans le monde), il y a trop de lumière. Il est temps de revenir aux ombres. Donc : demi-tour ! Retournons aux cavernes !


Raoul Ruiz

(Poétique du cinéma 2, éditions Dis-Voir 2006)



Image de la pensée 

O.V de L. Milosz

Là bas, je ne sais où, l’immobile Illimité


Là-bas, je ne sais où, l’immobile Illimité ; ni mouvement, ni lieu ; un je ne sais quoi qui est un total de tout ce qui est, de tout ce que je sais et de tout ce qui me reste à apprendre ; un contenant de tout lieu réel ou imaginable, et un contenant non-situé ; cela même vers quoi je vais, vers quoi se hâte tout le mouvement de l’infinité des descriptibles ; et qu’est-ce ? mais qu’est-ce donc enfin ? […]

Page tirée de Ars Magna (Épître à Storge)

Editorial  Jean-Luc Moreau


Le glaive d’Achille et l’épée de Saint Martin


La remise en cause d’un partage juste, telle est bien la raison de « la colère d’Achille, fils de Pélée, colère funeste, qui causa tant de malheurs aux Grecs, qui précipita dans les enfers les âmes courageuses de tant de héros, et rendit leurs corps la proie des chiens et des vautours », ainsi que l’annoncent les tout premiers vers de L’Iliade.

Les partages équitables sont si rares qu’ils prennent valeur d’exemplarité. En tout premier lieu, la proposition de Salomon de couper en deux l’enfant réclamé par deux femmes, afin de les départager sans risque d’erreur, la vraie mère s’étant naturellement « trahie » en préférant abandonner son enfant plutôt que de recevoir la moitié de son cadavre sanglant. Saint Martin de Tours nous parait faire tout autant œuvre de justice et de sagesse en sortant son épée à la vue du pauvre vieillard rencontré sur son chemin, non pour le chasser de sa route, mais pour couper son manteau et lui en laisser la moitié.

(extrait)


Pierre-Albert Jourdan Nouveaux fragments

Au printemps 2011, Gilles Jourdan et François Lallier ont découvert 44 fragments inédits que Pierre-Albert Jourdan avait conservés, classés et numérotés, en vue d’une édition revue et augmentée du volume publié en 1979 (Fragments, Editions de l’Ermitage).

Ces « ajouts » ont fait l’objet d’une publication séparée et particulièrement soignée par les éditions Poliphile.

La Sœur de l’Ange se réjouit de pouvoir publier quelques uns de ces 44 nouveaux Fragments grâce à l’aimable autorisation de Gilles Jourdan et de François Lallier.

Dossier : Á QUOI BON PARTAGER ?


Théodore Agrippa d'Aubigné Je veux peindre la France…


Rémi Lélian Eucharistie et partage


« Ceci est mon corps »… là réside le mystère de la prière comme faute, non pas réparée mais partagée, offerte, l’attente d’une gloire que nous ignorons et à laquelle ces paroles, encore un instant en suspens, ne nous préparent pas. En deçà de la connaissance – la communion. Car qu’est-ce que la foi, sinon un défaut de la volonté et une connaissance faible ? Une chimère platonicienne ? Une antithèse du plaisir et par là une malédiction, la promesse de la douleur. Ce qu’on nous livre, nous ne l’aimons pas et le goûtons moins que ce que nous arrachons. Dire « Ceci est mon corps » revient à dire « veux-tu que je t’appartienne ? », tandis que ce que je veux, mon désir volontaire, c’est t’arracher… et couper ton corps, à la racine de ce désir que j’éprouve, afin que plus rien ne l’alimente et qu’il puisse cesser… (extrait)



Baruch Spinoza  Ethique. 4. prop XVIII, scolie 


Sarah Vajda L'Impossible partage


Le partage entre mère et enfant, les premiers jours, les premiers mois, se fait lien si étroit que tu peinais à distinguer le tien de l'autre, si bien, qu'à l'image de la mère, créée par la nécessité, se superpose celle d'une mère/hallucination, créée par ta douleur précoce. Le temps est écoulé. Il faut se séparer. Le désespoir succède à la rupture. La mère refuse son sein, présente le biberon... Surtout, l'ingrate soudain tarde à répondre à tes cris, quelques modulations où tu excelles, et prétend te laisser dormir seul, refuse le partage du lit, le portage incessant, l'infini gazouillis. Les portes adamantines se ferment pour jamais et te voilà, Grosjean comme devant, seul avec ton chagrin majeur. Inconsolé. Inconsolable. Orphelin déjà d'une vivante. L'illusion cède vite le pas à l'imaginaire, pure question de survie en milieu hostile. Ce n'est qu'un début.

(extrait)



Yannis Constantinidès Moi d’abord. L’égoïsme absolu de Max Stirner


De l’oreillette du baladeur aux photos mises en ligne en passant par les femmes, la mode est aujourd’hui au partage. Plus qu’une injonction sociale, un impératif catégorique porté notamment par la nouvelle éthique, hégémonique et larmoyante, du care. On en oublie la défiance ordinaire et justifiée envers le partage, que reflète par exemple cette interrogation ironique : ¿Quien es más tonto? ¿El que presta un libro o el que lo regresa? (« Qui est le plus idiot : celui qui prête un livre ou celui qui le rend ? »)

Max Stirner (1806-1856), l’auteur de L’Unique et sa propriété, montre à cet égard que tout partage est partition, dépossession, expropriation. Le devoir de partager apparaît dès lors comme une ruse de l’éducation morale visant à amener l’individu à se dépouiller volontairement de ce qui lui appartient en propre, ses biens mais aussi son être même. C’est pourquoi il réhabilite l’égoïsme, synonyme d’authenticité. L’égoïste est favorable à l’altruisme, mais à condition que ce soient d’autres que lui qui s’occupent des autres !

(Y.C.)


Hugues Rabault Kleptocratie


La notion de kleptocratie désigne ici une forme ancestrale de partage des ressources, qui tend à se généraliser à partir de la révolution néolithique. La contribution examine la cohérence interne, spéculative et pratique, du concept.

(H. R.)


François Cornée-Villatte La vindicte triste du pauvre


Cet article est un commentaire très personnel d’un aphorisme de Nietzsche paru dans Aurore, qui souligne l’urgence extrême qu’il y a à supprimer les mendiants. En effet, leur existence nous place devant un terrible dilemme : on s’irrite aussi bien de leur donner que de ne pas leur donner. C’est en réalité le devoir moral de charité qui contrarie la bonne conscience de notre spontanéité naturellement généreuse, le don véritable étant l’abandon qu’implique nécessairement l’anabolisme de la volonté de puissance. Cette dépense somptuaire, débordant de la « vertu qui donne », est condamnée par la morale du pauvre qui, faute de goûter l’excellence de l’excès, préfèrera asservir le « sujet » à la norme étriquée du besoin. C’est dans cette généalogie du droit naturel que s’enracine l’oxymore de « la dette par rapport au pauvre », essence véritable du devoir de charité.

(F. C.-V.)



Le roman de Renart La part du lion


Noble, Ysengrin et Renart, chassant ensemble, ont capturé un taureau, une vache et un veau en se débarrassant de leur gardien... Mais il s'agit maintenant de partager les proies…


Stéphanie Roza Les républicains de la communauté des biens


Le socialisme français plonge ses racines dans le siècle des Lumières. Des controverses sur les questions sociales sous l’Ancien Régime à la Révolution Française et à la Conjuration des Égaux, Morelly l’utopiste, Mably le réformateur et Babeuf le révolutionnaire affirment la supériorité de ce qu'on appelait à l'époque « la communauté des biens et des travaux ». Il n'est pas inutile aujourd’hui de revenir sur les idées de ces penseurs qui sont les premiers combattants d'une République de l’égalité authentique.

(S. R.)

 


Eugène Vermersch Les Partageux


Extrait de l’un des poèmes les plus célèbres, avec Les Incendiaires, de ce poète et pamphlétaire, figure du courant blanquiste de la Commune.


Ernest Girault Paysans ! À bas les Partageux !


Malgré la netteté de son enseignement, toute doctrine à peine exposée, est faussée, dénaturée, mal comprise, mal interprétée, souvent même vidée de son contenu, celui-ci devenant dualiste.

[…]

Pas plus qu’une autre, la doctrine communiste n’a pu échapper à ces mutilations. Quelles interprétations n’a-t-elle pas subie _ après de nombreuses doctrines pré-communistes _ depuis son exposé fait, d’abord par Karl Marx et Engels en 1848, ensuite par les communistes-anarchistes et enfin par les révolutionnaires russes !... Que ne lui a-t-on fait dire ! Que ne lui faut-on pas dire encore !

Entre autre, ne l’accuse-t-on pas, bien souvent, d’avoir comme base la notion de partage ?

Accusation, certes, absurde tellement elle se trouve en contradiction avec la doctrine même.

(extrait de Paysans ! À bas les partageux ! [1927] )



Sarah Vajda Le plus grand film capitaliste du monde


Revoir Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston, 1947), à cette heure où le Capital comme un oiseau blessé se traîne sur la terre, empêché de voler, cerné de tant d’ennemis, comme une nuée d’enfants assiégeant un gringo au fin fond du Tiers-MondeSoudain l’été dernier –, est une fête pour l’esprit.


« À quoi bon partager ? », demande Dobbs, l’anti-héros incarné, une fois n’est pas coutume, par le grand Humphrey Bogart, « pour rien, juste pour ne pas hâter la mort ».

(extrait)



Marc Kober Le Partage dans l'Éros révolutionnaire


« Viva Éros ! » « Viva la Rivoluzione! » Éros et Révolution Voici des termes presque identiques quant à leur charge brisante, au pouvoir de transformation de la réalité, qui leur sont associés. A-t-on affaire à des puissances effectives, à des forces magiques, ou à de simples mots ? Ils renvoient en tout cas à la notion de partage. Ces termes déplacent le partage existant du réel - partage des rôles du féminin/masculin, partage des richesses - mais ils entrent aussi en contradiction. Trois exemples seront développés : l'érotisme à Paris et Tôkyô à la fin des années 60 en contexte révolutionnaire, avec Alba de Céspedes, Kôji Wakamatsu, et André Pieyre de Mandiargues ; l’Éros en pays communiste avec le journal de Marcelin Pleynet et des délégués de Tel Quel en 1974 ; l'Éros solaire de René Depestre dans Éros dans un train chinois.

(M. K.)



Extrait de La vie de Lazarillo de Tormès, d’auteur anonyme (traduction Michel Host)


Le jeune Lazare guide son maître aveugle sur les chemins de l’Espagne. Ce dernier vient de lui écraser un cruchon sur le visage car l’enfant lui a bu son vin en catimini. On sait la terrible vengeance de Lazare (nous l’avons publiée dans La Sœur de l’Ange, n° 8, à l’automne 2010, sous le titre : Le ciel t’aidera). Ils poursuivent maintenant leur route… quand ils aperçoivent des vendangeurs.

(M. H.)



Roger Mislawski Partage, personne et droit


Si la notion de partage a en droit un usage explicite principalement technique dans le droit des biens, implicitement elle dépasse largement ce cadre et se révèle un concept fondamental dans l’ordre juridique. Présente dès la naissance du droit avec le partage des réalités juridiques en personnes et choses, elle ne cesse de marquer son empreinte, encore de nos jours, porteuse aussi d’une connotation éthique : il n’y a en droit de partage que juste et tout ne peut se partager. Mais l’idée de juste partage n’est pas simple car elle oscille entre deux pôles opposés qui ne reflètent pas les mêmes valeurs ; le partage comme séparation permettant de donner à chacun ce qui lui est dû en propre et le partage comme ce qui est commun à tous, et dont on ne peut priver personne. La notion de partage est particulièrement remarquable lorsqu’elle concerne le corps humain et les risques personnels ou sociaux.

(R. M.)



Julien Trokiner Le droit de succession, le grand 8 des questions qui se posent et ne posent pas


Entretien de La Sœur de l’Ange avec Maître Julien Trokiner, notaire à Paris.


Lise Haddad l'invention des mourables et la défaite des Moires


Le partage est devenu un impératif, un droit d’inscription dans l’humanité, un devoir élémentaire. Partager ses biens, ses amis, sa vie, la récit de son intimité, tout cela va de soi ; comment alors montrer sa générosité ? La façon la plus grandiose, la plus moderne, la plus technologique, celle sur laquelle se concentrent tous les efforts de la recherche médicale, c’est le partage d’organes. Au lieu de laisser perdre ses organes, or rouge qui succède à l’or noir, chaque futur mort peut offrir quelques années de vie à un inconnu. Le corps se divise et se recompose à l’envi faisant éclater les bornes temporelles d’une existence. Sur les franges de la fin de vie dont les limites deviennent de plus en plus floues, on peut relancer le sablier d’un autre grand malade en attente de greffe. Le privilège exclusif des Moires : décider du moment de la mort devient accessible à n’importe quel médecin préleveur. Puisque on n’est mort que si un médecin l’a constaté, les critères se font mouvants, certains très grands malades sont déjà perçus comme des réserves d’organes très prometteuses, on leur donne un nouveau qualificatif, ce sont «  les mourables ».

(L. H.) 


Bernard Rimé À quoi bon partager ses émotions ?


À de rares exceptions près, toute expérience émotionnelle, positive ou négative, donne lieu ensuite à son récit et à son commentaire, dans ce qu’on appelle le « partage social des émotions ». A quoi bon ? Pour les émotions positives, on trouvera une réponse facile dans les bénéfices affectifs qu’on retire de leur évocation. Pour les épisodes négatifs, la réponse est d’autant plus compliquée que leur évocation stimule les affects négatfs et que nous devrions donc logiquement éviter d’en parler. Dans cet article, nous insisterons sur l’impact des émotions sur nos systèmes de sens et sur les conséquences de cet impact pour la cohérence individuelle et l’intégration sociale. C’est dans cet esprit que nous examinerons différents motifs du partgae social de l’émotion négative, comme la comparaison sociale, la production de sens, la mise à jour identitaire dans le recours au miroir social, la nécessité de resserrer ses liens sociaux, et la mise en œuvre de pratiques de régulation dont l’origine remonte à l’enfance.

(P. R.)



Marc Kober Le partage théâtral dans « Risotto »


La pièce « Risotto » jouée par ses deux concepteurs et acteurs, Amedeo Fago et Fabrizio Beggiati depuis une trentaine d’années, et dans le monde entier, offre aux spectateurs un partage culinaire puisqu’un énorme risotto est cuisiné sur scène, puis dégusté à la fin de la pièce avec tous les spectateurs. Mais ce partage est aussi celui d’un engagement politique et existentiel. La vie intime, mêlée à l’évolution sociale de l’Italie contemporaine, est projetée sur un grand écran derrière les deux hommes, comme si un vaste album photographique était feuilleté sous nos yeux. Finalement, les souvenirs d’amitié et de gastronomie partagée jadis prennent le pas sur toute autre considération.

(M. K.)


Guy Darol Contre-Culture et Internet


Internet est l’espace où se poursuit l’aventure énoncée, en 1968, par Theodore Roszak sous le nom de contre-culture. La fin des années 1960 est le temps des Diggers et du troc réactualisé, celui de la free press et de la liberté d’expression. A l’ère du numérique, le désir de partage continue, sauvage ou raisonné. Aujourd’hui, le Système est différemment attaqué. Les hacktivistes d’Anonymous mènent l’action. Un nouveau vocabulaire renvoie à de nouvelles tactiques et stratégies : hacking, crackers, peer-to-peer…

(G. D.)



Didier Bazy Pire tout pire


Poème, dont le titre livre à la fois le sujet et le ton

Nicolas Thély Il y a du braconnage dans l'air


Les statistiques sont formelles : partager une vidéo, des photographies, des fichiers musicaux, signifie pour le plus grand nombre pouvoir télécharger ou consulter gratuitement les fichiers des autres, mais pas nécessairement mettre à disposition ses propres données.


De quel désir ou fantasme, le partage est-il l’expression ?


« « Partage : répartition en parts d’une totalité. »


L’Internet et le Numérique nous inviteraient-ils à repenser le partage à partir de ce qui n’en relève pas ?

(extrait)



Bernard Desportes La parole pour un autre


"A quoi bon partager ?" – dans son énoncé la question se tourne vers un autre pour partager avec lui son interrogation...

C'est qu'en fait la parole – par laquelle me parvient et se matérialise pour moi le monde dès lors que je le nomme – est dans son essence même une adresse : en nommant le monde elle s'adresse à un autre pour être entendue de celui-ci. Ainsi le monde ne se donne-t-il qu'en partage entre le je et un autre. Et ce partage apparaît-il non comme une question de libre choix (à quoi bon ?) mais comme un impératif d'existence...

(B. D.)


John Taylor Traduire, partager


Dans une série de textes courts, John Taylor se penche sur la notion de « traduire, partager ». Il évoque ses origines dans une ville moyenne du Middle West ainsi les premières fois où il fut en contact avec des langues étrangères. « Quelque chose lui avait été donné en partage », explique-t-il. Un élan intérieur, qui lui reste longtemps imperceptible, le conduira des années plus tard en France, où il devient écrivain, critique littéraire et traducteur, notamment de la poésie française contemporaine. Le travail « artisanal et technique » du traducteur demande que celui-ci garde en tête cette notion de partage, car elle s’applique à des questions concernant le rôle de l’objectivité et de la créativité. Doit-on partager également une certaine « xénité » ? Que partage-on, justement, quand on traduit ?

(J. T.)




Suzuki Masao Le châtiment du traître ou L'Infidélité forcée (traduction Thierry Maré)

Si traduire consiste à faire passer un énoncé d’une langue dans une autre afin de produire des effets comparables sur l’auditeur ou sur le lecteur d'un autre univers culturel, quel nom donner à l’activité de celui qui, pour d’excellentes raisons éditoriales, est amené à transformer un texte pour le rendre tel que tout le monde, y compris son auteur, aurait sans doute préféré qu’il fût ? Telle est en tout cas l’étrange expérience que j’ai eue à vivre, lorsqu’on m’a demandé de traduire en japonais la biographie d’un écrivain japonais rédigée par une Française qui n’avait visiblement qu’une assez vague idée du Japon. L’infidélité n’est pas ma pente naturelle ! Il faut en accuser les circonstances, l’horizon d’attente du public, la vérité des faits, finalement la littérature...

(S. M.)

Laurence Werner David En même temps


« Un texte autour du Partage et de son utilité ou pas...
Je pense à plusieurs formes courtes, assez poétiques peut-être, dont le point de départ serait non pas frontalement le partage, mais bizarrement ce qu'est le repli, et si dans ce mouvement inversé il y a un partage autre, plus intense, moins raisonnable…
Sans doute la forme poétique y sera la plus développée avec un fil narratif présent mais que je souhaite assez ténu. »

(Proposition de Laurence Werner David à la rédaction.)


Thierry Maré Lettre édifiante & curieuse du Japon à la Sœur de l’Ange

Omnis habet sua dona dies


La pratique des cadeaux et les rites auxquels elle donne lieu pourraient livrer quelques clés sur les conceptions sociales qui règnent au Japon, à la fois plus égalitaires qu’en Occident et fondées sur la bienveillance mutuelle. La sentimentalité guette, sans doute, mais il y a une douceur indicible à vivre dans un univers de cadeaux échangés où la moindre babiole, l’ustensile le plus vulgaire ou simplement la nourriture, convenablement sertis dans un emballage somptueux, transfigurent la banalité et font de tous les jours une fête. Ces arts du quotidien, du précaire, où le Japon est passé maître, entrent en résonance avec une précarité qui, sans doute, est celle de tous les hommes, mais que les événements récents survenus dans l’archipel rendent d’autant plus douloureuse.

(T. M.)



SILHOUETTES


Hugues Simard Le Théorème d'Olivier Larronde


Évocation du poète Olivier Larronde (1927-1965)


On est sans doute autorisé à penser que les barricades mystérieuses dont entretint Olivier Larronde furent celles du temps. La barricade du temps coagulé, l’essieu gigantesque de la meule du temps broyeur, la digue de la mesure conventionnelle, qui ne doit de perpétuer l’illusion de sa solidité qu’à la malédiction de nos sens infirmes, tout cela tranchait en effet avec sa vision d’un temps liquide et la quête de l’instant éternel dans sa poésie. Cela semblera d’autant plus évident si l’on veut bien se reporter à quelques épisodes de la fin de sa vie dont, pour la plupart, j’ai été le confident sinon le témoin direct.

(extrait)


François Lallier L’itinéraire poétique de Pierre-Albert Jourdan


A la fin de 1970, Pierre-Albert Jourdan est frappé par un infarctus, et il écrit, dans sa maison de Caromb, un long poème, L’Ordre de la lumière, qu’il publiera lui-même, sans trop se soucier de sa distribution, en 1971. On y voit, sous la menace mortelle qui incite à une renaissance, la lutte pour que les mots qui veulent comprendre et traduire la lumière du monde – le nuage, la montagne, la forêt, la pierre, l’herbe – et y parviennent, dans d’admirables peintures verbales, puissent par analogie intérieure, valoir pour un destin spirituel, pour l’« ordre » que sur un autre plan ils refusent, auquel ils font obstacle.

(extrait)



HEROS DE PAGES ET D’ECRANS


Michel Host La parole aux animaux


Seconde partie de la contribution de Michel Host au dossier du numéro 11 de la Sœur de l’Ange, A quoi bon partager ?


Venons-en aux modernes, sinon aux contemporains. Pour ces derniers, m’est avis que s’ils n’éprouvent plus le besoin de faire parler les bêtes, c’est que la nécessité d’un pareil transfert ne leur est plus une évidence. Et pourquoi cela ? Eh bien, ne seraient-ils pas devenus eux-mêmes de ces « bêtes » qui, avec des têtes réduites, jivaros de leur propre personne, des écouteurs sur les oreilles, des portables, des i-phones, des tablettes… dans les mains, n’éprouvent plus qu’à peine le désir de « se parler ». Ils « communiquent », c’est déjà quelque chose de grand ! Certains déjà ont oublié l’usage de la parole. Le moindre trajet dans le métro parisien me remplit de doutes.

Les modernes, donc.

(extrait)




RHIZOME(S)


Sarah Vajda Un été aux U.S.A.


Un dancefloor en forêt.

Dinners.

Melting-pot.

Californie.

Arizona.


Cahier RAOUL RUIZ


Benoît Peeters Autour du scénario, entretien avec Raoul Ruiz


Cet entretien, réalisé en 1984, est paru pour la première fois dans un ouvrage collectif composé par Benoît Peeters et intitulé Autour du scénario (éditions de l’Université de Bruxelles, 1986).



Raoul Ruiz : À chaque fois au fond, dans ce que je fais, c’est le procédé qui devient sujet. Or, actuellement, tous les moyens sont mis en place pour que les gens racontent une histoire purement et simplement, « au premier degré », comme on dit, alors qu’on ne sait même pas ce que serait le premier degré… Moi, ce qui m’intéresse, au contraire, c’est de me servir à chaque stade de tous les éléments d’étrangeté qui peuvent surgir. Tout peut devenir effet d’étrangeté, c’est une question de regard. Une scène répétée dix fois, si on la montre comme une répétition, si on joue de ce cérémonial, va devenir une sorte de rituel étrange. Si au contraire on décide de dissimuler la répétition, on passe dans une autre sorte de cérémonie, celle du voyeurisme… Tous ces éléments ne sont presque jamais considérés et pourtant ils constituent d’incroyables matériaux fictionnels. À chaque instant, dans un film, quelque chose peut être en train de se jouer par delà ce qui semble se raconter. Si une image dure trop longtemps, à un moment il se produit une certaine transmutation et le spectateur commence à quitter le récit pour venir s’installer dans l’image ; alors, on coupe au moment où il ne s’y attend plus et c’est un plan trop court qu’on lui donne.

(extrait)



Danièle Rivière In memoriam



L’hommage rendu à Raoul Ruiz par l’éditrice de la plus grande part de ses écrits.


Raoul Ruiz était un conteur des mille et une nuits,  à la fois cinéaste, homme de théâtre mais aussi écrivain. Dans cette œuvre immense qui fut la sienne, celle qu’il réalisa comme écrivain s’inscrit non seulement dans des expériences narratives qui furent celles qu’il développa dans son cinéma, mais nous introduit là aussi dans ce temps du conte, de l’enfance et du rêve éveillé dans lequel ce poète, avec son inestimable génie créateur, a su nous entraîner dans le labyrinthe de ses visions.

(extrait)



Raoul Ruiz À la poursuite de l'Île au Trésor (extrait)


Court extrait du premier roman de Raoul Ruiz (Dis-voir, 1989), à l’origine de son film, L’Île au trésor, suite, ou poursuite, du roman de Stevenson.



Alain Fleischer Hasta luego, compañero !


Au lendemain de la mort de Raoul Ruiz, le photographe, cinéaste et écrivain Alain Fleischer se souvient.


L’œuvre formidable, accumulée par Raul Ruiz, réclamera une attention patiente de la part de ceux qui vont l’étudier, et continuera de produire une sorte d’actualité inédite, bien au-delà de la période qui fait suite à sa disparition, et du nouveau film dont il effectuait le montage quand elle est survenue.

Nous-nous étions mutuellement reconnus ce travers de ne vouloir jamais renoncer à rien, de nous abandonner sans calcul stratégique ni prudence à cette ivresse conjuratoire de la mort qu’est la surproduction. Pour Raul, cet exercice de conjuration a réussi.

(extrait)


Jean-Luc Moreau Car ces histoires sont contagieuses


Par le directeur de la collection d’autobiographies fictives dans laquelle il a été édité (alter ego, Fayard), « l’histoire » du roman posthume de Raoul Ruiz, L’Esprit de l’escalier.


Dans ce café où je le rencontrai pour la première fois, Raoul Ruiz me fit donc part de deux des vies qui auraient pu être les siennes à d’autres époques. Dans la première, il était un disciple, quelque peu métaphysicien je crois, de Harry Houdini, à moins que ce ne fût du modèle de celui-ci, Robert Houdin. Je penche plutôt pour le premier des deux, car dans cette vie-là, il se montrait moins magicien que spécialiste de l’évasion. Aussi me parla-t-il beaucoup d’escapologie, notamment d’un auteur anglais selon lequel nous aurions chacun désiré et obtenu la vie, dans le seul but de démontrer notre habileté personnelle à nous en évader. (Faudrait-il alors croire que nous faisons seulement semblant de vouloir avant tout échapper à la mort afin de tromper nos concurrents ?).

Dans la seconde des vies dont il m’entretint alors, Raoul Ruiz était l’un de ces farceurs convaincus que les plaisanteries les meilleures ne sont pas les plus courtes, mais celles dotées d’un effet retard, d’au moins quelques décennies, voire d’un siècle (comme l’édition d’un très sérieux traité de numismatique aux références inventées).

(extrait)



POUR QUITTER


Benoît Peeters, Raoul Ruiz Le transpatagonien (extrait)


Le Transpatagonien fut d’abord un projet de film, ou de collection télévisuelle. En 1993, il connut une première publication aux éditions Casterman ; les récits étaient illustrés par Patrick Deubelbeiss. L’ouvrage a été repris sous forme de roman aux éditions Les Impressions Nouvelles en 2002.


La malle parlante

Le voleur de l’au-delà

La mort du lion



ILLUSTRATIONS DES PAGES DE TITRE :


Danièle Blanchelande